(Billet 1162) – TcheRNIbyl, ou le RNI en fusion

(Billet 1162) – TcheRNIbyl, ou le RNI en fusion

Un jour de 1977, 1978 ou 1979 – les dates diffèrent selon les sources –, le RNI voit le jour. Ahmed Osman, ancien premier ministre et proche parent du défunt roi Hassan II, avait finement observé les résultats des élections législatives de 1977, qui avaient vu la consécration/élection/adoubement de 141 ou 144 députés indépendants – les chiffres varient selon les cas –, puis les avait rassemblés sur le plan national. Cela a donné le Rassemblement National des Indépendants. Depuis, le parti sert à apporter l’appoint arithmétique pour les majorités. Jusqu’en 2016… et surtout 2021.

En 2016, le RNI est laminé au scrutin législatif du 7 octobre. Salaheddine Mezouar, son président en titre, s’en va, remplacé par le déplacé Aziz Akhannouch, venu politiquement de nulle part. Le parti est en lambeaux, et quand la direction sortante/restante/partante monte sur la scène du congrès extraordinaire (dans les deux sens du mot) de fin octobre pour dire bonjour, la plateforme s’effondre et tout le monde se trouve au sol, heureusement sans blessés. Aziz Akhannouch et son staff entament alors rapidement la reconstruction de la scène et du parti.

Cinq années passent, de dur labeur, de travail sérieux et soutenu. M. Akhannouch, patiemment, consciencieusement, rebâtit le RNI, à la manière du bâtisseur d’entreprises qu’il est. Feuille de route, mobilisation de moyens financiers, recrutement de ressources humaines, application des codes de l’entreprise au parti, monopolisation du discours politique, création d’une cour autour du nouveau prince bleu… En 2021, le RNI est en ordre de marche, débarrassé du complexe de son statut de parti d’appoint. Et il décide même, Aziz Akhannouch, de coller l’étiquette de « social-démocrate » à son parti refait et à ses cadres surfaits, et tout le monde est ravi. Social-démocratie, c’est bien, ça fait bien.

Sauf qu’il y a un problème que seul un regard avisé peut relever. Les caciques, les pontes, les personnages fondateurs et les personnalités fondamentales du parti sont parties. Personne n’a jamais vu Ahmed Osman à un congrès de l’ère akhannouchienne, pas plus qu’on a vu la cheville ouvrière Mohamed Bentaleb arpenter à son habitude les allées de pouvoir et les couloirs du RNI. Abdelaziz Alaoui Hafidi, ancien cacique, est dégagé par le haut, atterrissant à la Cour constitutionnelle, avant de disparaître des radars du parti. Puis les autres Anciens, comme les fondateurs Mohamed Benaïssa ou encore, moins connu du grand public, Abdellatif Ghissassi… tous disparus de la scène du RNI, tous marginalisés par la nouvelle direction, tous étouffés par la nouvelle doxa RNIste portée par Ssi Akhannouch et ses amis/affidés/obligés/vassaux/salariés. Le « sang bleu » du RNI s’en est allée, emportant avec elle une bonne partie de ce qui fut son « âme ».

En 2010, à l’arrivée de Salaheddine Mezouar à sa tête, le RNI grésille quelques années, forme le très original et très burlesque G8 avec 7 autres formations/hizbicules, puis, en 2013, il entre au gouvernement, et entre aussi en surchauffe. Pour l’élection de 2016, il s’y voit, il s’y projette, il en rêve et en salive. Las… le 7 octobre 2016, le parti s’effondre face au PJD et au PAM. Et, tel un réacteur nucléaire, tel celui de Tchernobyl, le RNI qui avait augmenté artificiellement sa puissance chauffe, puis implose et rejette de grandes cohortes de personnages radioactifs dans la scène politique. Arrivent les secours, sous la forme de l’équipe des « liquidateurs » (encore Tchernobyl) conduits par Aziz Akhannouch.

Que fait cette équipe face à son parti en pleine fusion, qui se tasse et s’entasse ? Il construit un grand dôme sur l’ancien RNI, comme un sarcophage, comme le sarcophage de Tchernobyl, enserrant les anciens dans leur bulle, les mettant à l’ombre et dans l’obscurité, le sarcophage prenant la forme des nouvelles équipes, qui n’ont aucun lien avec les Anciens. Puis, avec le temps, arrive 2021 et la formation du gouvernement Akhannouch I, puis 2024, année de l’Akhannouch II. Le premier sarcophage étant consommé et amorti, le Lider Maximo (à qui manque pourtant le Verbe du tenant de ce titre) bâtit un second sarcophage, un Couvercle, un Dôme, une Arche, toujours comme à Tchernobyl. Cette Arche porte des noms jusque-là inconnus au RNI et qu’on retrouve au gouvernement : des personnages précipitamment peints en bleu, comme Nadia Fettah Alaoui ou Chakib Benmoussa (curieux et étrange pour un ancien ministre de l’Intérieur) et, en 2024, lors du remaniement gouvernemental, arrivent des créatures d’une autre contrée, portant le nom d’Akwa, comme Amine Tahraoui à la Santé (ex-cadre) ou Mohamed Saad Berrada à l’Education nationale (actionnaire d’une filiale), qui viennent s’ajouter à Fatima-Zahra Ammor au Tourisme (ex-cadre). Et quand ce ne sont pas des cadres d’Akwa, alors ce sont des responsables du ministère de l’Agriculture placé sous l’autorité de Ssi Akhannouch 14 années durant qui surgissent, comme l’ancien ministre Mohamed Sadiki ou son successeur, l’actuel ministre Ahmed Bouari, tous deux redevables en grande partie pour leur carrière au Grand Liquidateur Aziz Akhannouch.

Le RNI « historique » (malgré les guillemets, le mot n’est pas très galvaudé car le parti a presque atteint le demi-siècle d’âge) a disparu, enfoui sous les deux sarcophages. Les idées et positions initiales de la formation sont escamotées, comme ses anciens caciques, porteurs de l’histoire et de la mémoire du RNI. Et alors ? Alors, le RNI tel qu’on l’a connu n’existe plus, sauf par l’acronyme. Il ne reste plus à Ssi Akhannouch, piaffant de désir d’être reconduit en 2026, qu’à trouver un autre nom à son parti, un nom qui pourrait porter les lettres « A » comme Akhannouch, « K » comme Kapital, « W » comme Watani…

Au final, donc, un ancien moteur de la politique marocaine, un réacteur fondu de l’éternelle transition démocratique, cède la place à un nouveau moteur de cette démocratie qui, dans ce cas, sera en dangereuse régression. Plus sérieusement, « nous méritons mieux » !

Aziz Boucetta

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