Et l’impôt, mon ami ? Le civisme commence aussi par là…, Par Hassan El Ktini
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- 02 juin 2025 - 12:56 --
- Maroc
Mon cher Aziz,
Ton article sur le civisme au Maroc m’a, je te le dis franchement, interpellé, stimulé, et surtout… donné envie de te répondre. Pas pour contester ton propos, bien au contraire. Ton texte est percutant, rigoureux, parfois acide — mais à juste dose — et surtout salutaire. Oui, notre société souffre d’un déficit criant de civisme. Oui, il y a, dans nos villes comme dans nos mentalités, des réflexes d’indiscipline chronique, des manquements au vivre-ensemble, et parfois une absence flagrante de respect des règles les plus élémentaires.
L’impôt : le fondement discret de la citoyenneté
Dans toutes les grandes démocraties, l’impôt est un pilier silencieux mais décisif du lien social. Il symbolise cette idée simple mais puissante : je contribue parce que je fais partie de la communauté. Il n’est pas exagéré de dire que payer ses impôts est le premier jalon de la citoyenneté active, bien avant même le vote, puisque l’impôt est permanent, concret, et souvent le seul acte de participation que pose un citoyen de manière régulière.
Le paradoxe marocain — et c’est là où ton article trouve toute sa pertinence — est que nous voulons, à raison, des droits, des services, des garanties… mais nous éludons souvent la question de leur financement. Pire encore : l’évitement fiscale est parfois banalisé, voire toléré socialement, comme s’il relevait d’une forme d’astuce ou de débrouillardise. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il n’est plus soutenable.
La fiscalité : miroir du civisme collectif
Je suis frappé de voir combien l’impôt est absent du discours civique au Maroc, que ce soit dans les médias, les programmes scolaires, les campagnes de sensibilisation ou même les débats publics. L’impôt est perçu comme un mal nécessaire, rarement comme un acte volontaire de solidarité ou un geste politique au sens noble. Ce silence est révélateur : on parle volontiers de droits, rarement de devoirs, et encore moins du devoir fiscal, pourtant inscrit au cœur même du pacte républicain.
Prenons un exemple concret : lorsqu’un citoyen déclare avec sincérité ses revenus, sans tricher, sans dissimuler, il accomplit un acte hautement civique, même s’il passe inaperçu. Il dit, par cet acte, qu’il fait confiance aux institutions, qu’il accepte le principe de redistribution, qu’il assume sa part dans le financement de l’école publique, des routes, de la justice, des soins… Il est, de manière silencieuse mais forte, un bâtisseur de l’État.
La DGI, l’impôt et la pédagogie civique
Tu me connais, je ne plaide pas ici en technicien des finances publiques, mais en citoyen soucieux d’équité. L’administration fiscale marocaine, ces dernières années, a justement essayé de faire évoluer le rapport des contribuables à l’impôt, en misant davantage sur la transparence, l’accompagnement et la digitalisation. Mais ces efforts resteront insuffisants tant que le discours public ne réhabilite pas la contribution fiscale comme une dimension essentielle du civisme.
Aziz, ton article fait un constat juste et utile : le civisme au Maroc est en crise. Mais ce civisme ne pourra être restauré qu’à une condition : qu’il s’accompagne d’une réappropriation pleine et entière du sens de l’impôt. Tant que l’on considérera l’impôt comme un poids au lieu d’un pilier, tant que l’on évitera le sujet dans les analyses sur la citoyenneté, on manquera une partie essentielle du problème — et donc de la solution.
Une invitation à prolonger le débat
Je te propose donc — amicalement et fraternellement — de prolonger ta réflexion par cette dimension oubliée. Car dans cette transition civique que nous appelons de nos vœux, le passage de la civilité à la citoyenneté passe aussi, nécessairement, par la voie fiscale. Et peut-être qu’un jour, on verra dans l’acte de déclaration d’impôt non pas une corvée, mais un réflexe citoyen. Mieux encore : une fierté.
Et si nous commencions par là ?
Avec toute mon amitié intellectuelle et ma gratitude pour ce débat que tu as lancé avec brio.
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Hassan El Ktini est docteur en droit.
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