(Billet 1232) - Comment Hassan II prédisait hier la France d'aujourd'hui

(Billet 1232) - Comment Hassan II prédisait hier la France d'aujourd'hui

Quand un pays embastille un de ses anciens présidents au nom de la rigueur de la loi et qu’il « tolère » l’actuel qui a tout bloqué et continue encore, c’est que quelque chose ne va pas… Ce pays, c’est la France, et la justice de France a décidé d’incarcérer Nicolas Sarkozy, pour des faits pas vraiment prouvés et alors qu’il est en principe encore présumé innocent . Le peuple de France, et ses médias, considèrent cela comme un « séisme », mais un séisme, on ne le comprend et ressent qu’une fois survenu ; il a des signes avant-coureurs, et Hassan II en était un.

Entre divisions internes, identitarisme et souverainisme, avec un reflux industriel et un tassement culturel et même civilisationnel, la France doute. Elle doute et redoute l’avenir vers lequel elle s’élance, déchirée, en voie d’effritement. Il n’est qu’à regarder les débats et écouter les propos de politiques pour voir cette France, qui fut prestigieuse, sombrer dans les méandres de la médiocrité qui contraste singulièrement avec cette grandeur qui fut la sienne. La rancœur et la haine l’emportent, et les voix racistes sont de moins en moins rares, de plus en plus décomplexées.

Le roi Hassan II avait très singulièrement prévu tout cela, et il le disait dès 1993 à un de ses visiteurs, Philippe de Villiers. Dans une rencontre inédite entre les deux hommes cette année-là, le monarque « reprochait » au leader vendéen l’attitude typiquement française de tourner le dos à sa propre histoire : « Les Français ont perdu le fil. Pour aimer un pays, il faut sentir qu’il a un passé. Ce n’est plus votre cas. Vous dépensez tant de temps à battre votre coulpe sur la poitrine de vos pauvres ancêtres ». Et encore, ce n’était que le début d’une lente descente vers l’abîme de la division ; trente années plus tard, la France devait avoir un président qui, de l’ « en même temps » au « quoi qu’il en coûte », a plongé ce grand pays dans les affres du désordre et du doute et dans l’enfer de la banqueroute.

Et Hassan II, toujours à M. de Villiers : « Nous avons besoin d’une France qui ne soit pas un trou noir. Vous êtes tout à votre noirceur, vous apprenez à vos enfants à se détester. Alors que vous avez quand même des motifs de fierté ». Une prophétie qui devait trouver tout son éclat dans la France du président Macron, où les musulmans sont ostracisés, les migrants stigmatisés, les étrangers diabolisés, les pauvres et autres nécessiteux méprisés, et où la partie insoumise de la France et sa partie nationale s’affrontent et, osons le mot, se haïssent. Même pas cordialement. Et quand Hassan II parle de cette « France dont nous avons besoin », c’est en référence au passé philosophique, littéraire, scientifique… en un mot en référence au legs universel de la France. Qui n’est plus ce qu’elle fut, une vieille dame aussi belle que sage qui veut absolument devenir cette Marianne jeune et élancée.

Hassan II pensait que la France dissolvait son identité à travers l’intégration européenne : « Ce traité [de Maastricht] va déclasser la France et perdre l’Europe ». Et d’expliquer que « le centre de gravité de l’Europe va sa déplacer vers le monde anglo-saxon et, finalement, vers l’Amérique. Vous voyez bien aujourd’hui comme la francophonie s’éteint à petit feu ». Le défunt roi décrivait en 1993 la France et l’Europe d’un tiers de siècle plus tard ; l’actualité d’aujourd’hui confirme bruyamment ses prophéties, avec ce mépris affiché de l’Amérique de Donald Trump et de JD Vance pour une Europe égarée et hagarde qui ne voit son salut que dans une Amérique qui la méprise pourtant si ouvertement. « Vous avez perdu toutes les boussoles de la géographie, de l’Histoire et de la famille, vous avez exilé la sagesse, vous avez aboli la gratitude, donc l’espoir. Je ne vous envie pas ». Terrible constat, rude conclusion, la charge est lourde ; Hassan II aimait la France, sincèrement, mais il était lucide et voyait venir la situation qui est aujourd’hui celle de ce pays ami et très proche du Maroc.

Le défunt roi avait également rencontré Jean-Marie Le Pen en 1990 et lui avait tenu les mêmes propos sur la centralité de l’Histoire dans la vie des nations, expliquant que quand une société oublie ou néglige son passé, elle perd ses valeurs et ses repères et se trouve condamnée à l’errance. « Les problèmes de votre pays vient du fait que vous n’enseignez plus l’histoire », lance Hassan II à un Jean-Marie Le Pen, ravi d’entendre louer la grande histoire de France.

Et de fait, aujourd’hui, et après avoir posé tout au long de son histoire les jalons de la pensée moderne et érigé toutes les barrières contre le rejet et l’ostracisme, la domination et la division, après avoir posé les règles du rationalisme, de l’humanisme et de l’universalisme, et après avoir cantonné la religion dans les limites de la laïcité, la France renonce à tous ces acquis. Et comme l’avait prophétisé le roi défunt, la dilution de la civilisation française (parce que c’est une civilisation) dans l’Union européenne, à Maastricht puis à Lisbonne, a entraîné le déclin de ce pays.

Que s’est-il donc passé en France pour qu’elle en soit réduite à ces discours de rejet, voire de haine, où tous luttent contre tous, où chacun se méfie de l’autre, où la population doute, cultivant la nostalgie de ce qu’elle fut, redoutant l’avenir et subissant un déclassement de plus en plus irrésistible ? Avec ce qu’ils appellent « le grand remplacement », en réveillant les démons du pétainisme et par le démantèlement de la famille, on peut avoir un début de réponse…

Mais la France n’est jamais aussi belle que quand elle se rebelle et ce pays a ceci de beau et bien qu’il ne dégage ses effluves que dans les grandes périodes d’incertitude.

Aziz Boucetta

Commentaires