(Billet 1243) – Pourquoi y a-t-il si peu de porte-paroles au Maroc...

(Billet 1243) – Pourquoi y a-t-il si peu de porte-paroles au Maroc...

Dans un pays comme le Maroc, avec une société civile aussi active, dynamique et engagée que la nôtre, il semblerait que la parole ne soit pas au rendez-vous ; la parole des responsables, s’entend… On voudrait susciter l’indifférence des populations, voire même une hostilité ouverte que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Mais on obtient un autre résultat : l’absence ou l’indigence de l’information ouvre grand la voie à ceux qui ouvrent grand leur bouche, et qu’on appelle influenceurs.

Dans les pays où les gouvernants et autres responsables nourrissent un certain intérêt pour leurs administrés, toutes les grandes administrations et organisations, publiques soient-elles ou privées, entretiennent une fonction de porte-parole. Cette personne intervient et monte au créneau en cas de crise ou de situation délicate, mais en temps normal, elle est à la disposition des médias pour apporter des explications, clarifications et précisions. Le principe est simple : le public, administrés ou consommateurs, a le droit de savoir.

Au Maroc, rien de tel, avec quelques exceptions qui confirment la règle du mutisme. Et, paradoxalement, c’est dans l’administration qui pourrait être la plus discrète que l’on retrouve un porte-parole qui s’explique et qui se place volontiers à la disposition des médias, en l’occurrence la DGSN. Le palais royal a également son porte-parole, un personnage respectable qui se contente de lire des communiqués que l’on retrouve immédiatement après sur la MAP, mais cette fonction a quand même le mérite d’exister. Et, bien évidemment, nous avons le fameux porte-parole du gouvernement ; cette fonction a eu des personnages causants et imposants comme Khalid Alioua, Nabil Benabdallah ou encore Mustapha el Khalfi, avant d’échoir à l’affligeant actuel.

Et pourtant…

Et pourtant, le Maroc, qui se trouve à un point d’inflexion de sa trajectoire de développement et d’accomplissement de son intégrité territoriale, dispose d’une population vivante et d’une société civile vivace, qui s’intéressent, qui s’impliquent, au besoin s’agitent mais dans tous les cas cogitent et militent. Et tant de départements ministériels ou d’organismes publics manquent à l’appel du porte-parolat.

Les Affaires étrangères. La résolution 2797 a été adoptée, le roi Mohammed VI a prononcé un discours ad hoc et a même fait du 31 octobre un jour férié. Le travail « authentique » commence alors et, l’euphorie du moment passée, le Maroc prend la mesure du défi à relever. Cela concerne l’ensemble de la population, mais rien ne filtre sur l’approche à retenir, la logique à adopter, la réflexion à mener. Les Marocains, qui portent leur Sahara dans le cœur et dans l’esprit, en sont à la conjecture, à la spéculation. Tout est suspendu à la (très rare) parole de Nasser Bourita. Un porte-parole aurait donné de la visibilité, de la clarté, des explications. Las…

L’Intérieur. Le ministre Abdelouafi Laftit vient au parlement et y tance et menace les parlementaires et élus indélicats, puis il explique, toujours au parlement, le risque d’ingérence extérieure lors de la préparation et de la tenue des élections législatives. C’est grave, et c’est tout. Des immeubles s’effondrent, des gens meurent… des inondations submergent, des gens meurent encore… Mais personne ne parle. M. Laftit a organisé et présidé des réunions avec les cadres de l’administration territoriale pour les programmes de développement intégré, mais sans qu’on en sache plus ! Médias et société civile en sont réduits à sa parole, sans explication, brute. Là aussi, un porte-parole aurait précisé les choses, expliqué les politiques en cours et décortiqué les précédentes. Las…

La Fédération de foot. Le Maroc, on le sait, reçoit l’Afrique du football, et le monde qui va avec, et dans cinq ans, le monde aura ses projecteurs braqués sur notre pays. Des milliards sont engagés, engloutis, des chantiers pharaoniques sont menés tambour battant ; le foot marocain devient une référence mondiale et ses tifos sont de renommée planétaire. Mais les problèmes surgissent, des questions se posent, et c’est Fouzi Lekjaâ, et seulement Fouzi Lekjaâ qui parle, quand il veut, à qui il veut, quand et comme il veut. Un porte-parole aurait eu tellement de choses à dire et à commenter. Las…

La présidence du gouvernement. Avant, les Premiers ministres/chefs de gouvernement parlaient, mais ça, c’était avant. Avec Aziz Akhannouch, on ne dit plus rien, on se félicite, on n’explique plus rien, on se congratule. Les prix flambent, le népotisme galope, les jeunes sortent dans les rues, la santé se meurt, mais walou, rien ne filtre. Pas de porte-parole, ni même de paroles, malgré les demandes d’informations… Las.

Les finances et le budget. Où en sont les investissements publics, et privés ? Quel est le niveau de la dette, domestique ou étrangère ? Face à tous les méga-chantiers lancés ici et là, quels financements ? Quid des financements innovants ? Autant de questions qui intéressent, parfois stressent, mais en face, le grand silence. Nadia Fettah Alaoui ne parle que contrainte et forcée – des situations bienheureusement rares pour elle – et Fouzi Lekjaâ (encore lui) s’exprime à sa manière, s’il en a le temps et surtout l’envie. Pourquoi pas un porte-parole pour une fédération qui fait vibrer les cœurs et les hommes ? Las…

Les partis politiques et les syndicats. On ne sait pas vraiment ce qu'ils pensent et même s'ils pensent vraiment... En dehors de leurs patrons (et à l'exception du PJD et de l'Istiqlal), ils ne disent jamais rien. Par peur, par inconsistance, par manque de confiance, on ne sait pas. On peut même se demander si un porte-parole serait utile pour certains d'entre ces partis et syndicats; il risquerait d'aggraver le manque de confiance. Hélas...

Et il y a aussi l’OCP pour expliquer ses succès, la RAM pour justifier ses excès (de prix entre autres), l’ONCF pour exposer ses avancées, NARSA pour essayer de réduire les décès… Les grandes mairies doivent également s’exprimer pour tant et tant de choses, et même les wilayas de régions, les régions tout court. Tout ce monde, et plus encore, doivent parler, s’exprimer, analyser, répondre…

 

A la place de porte-paroles qui parleraient, ces organismes et institutions disposent en revanche de chargé(e)s de communication, parfois élevé(e)s au rang de spin doctor. Mais un porte-parole n’est pas un chargé de communication, loin s’en faut. Globalement, un chargé de communication est en principe et idéalement le concepteur des politiques et des éléments de langage qui vont avec ; il intervient rarement et relève personnellement de sa hiérarchie . Pour sa part, le porte-parole est relié à son administration et non à son supérieur, il apparaît bien plus souvent que le chargé de communication et est l’interface de son organisation en cas de crise. Le chargé de com est (supposé être) un stratège alors que porte-parole détient le verbe et l’art de le transmettre ; le premier est au service de son patron, le second est à la disposition du public.

D’une manière générale, il faut un porte-parole pour chaque grande institution ou organisation (wilaya, mairie de grande villes, grandes entreprises publiques, syndicats et partis politiques, associations d’utilité publique…). Pas que tous ces gens doivent nécessairement et perpétuellement se trouver devant des journalistes, mais qu’ils y soient, et qu’ils y soient préparés pour le jour où il le faut.

Dans les mois et les années qui viennent, le porte-parolat est une fonction qui devrait gagner en importance, pour couper court aux rumeurs, pour confronter les oiseaux de mauvais augure, pour répondre aux légitimes questions du citoyen-contribuable ou du citoyen-consommateur. Cela relèverait du respect le plus élémentaire dû au citoyen tout court.

Aziz Boucetta

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