
(Billet 1161) – Israël et nous
Il est vrai que lorsqu’on observe le comportement génocidaire de Netanyahou et de son gouvernement et quand on mesure à quel point cet homme et son gang sont dangereux pour leur propre pays et aussi pour les Occidentaux qu’il a même réussi à énerver, on ne peut que s’étonner qu’un autre Etat, le Maroc en l’occurrence, puisse garder des contacts avec lui. Mais, pour autant, maintenir cette relation est utile, pour le Maroc et pour les Palestiniens ; et au Maroc, sur cette question, chacun y va de sa partition en fonction de son rang et aussi de ses intérêts. Tour d’horizon.
1/ L’Etat, Taza et Gaza. A tout seigneur, tout honneur… En ce vingt-deuxième jour du douzième mois de l’an de grâce 2020, le Maroc signait l’Accord tripartite avec Israël, sous l’œil humide et la supervision attentive de l’Oncle Sam. Ce n’était pas une normalisation des relations, mais une officialisation. Entre Rabat et Tel Aviv, les liens n’ont jamais été rompus car au Maroc, musulmans et juifs ont d’éternité vécu ensemble, en bonne intelligence, enjambant les tumultes de l’Histoire à chaque fois que les énervements sont survenus. Aujourd’hui, plus d’un an et demi après le début de l’un des massacres les plus retentissants que l’humanité ait connu hors guerre*, l’Etat marocain joue en finesse et déploie toute la subtilité diplomatique qu’il a engrangée en mille ans d’histoire : ne pas rompre avec Israël mais se distancie de ses dirigeants actuels, poursuivre et renforcer son soutien à la question palestinienne, naviguer contre son opinion publique mais la laisser exprimer ses colères, condamner les dérives israéliennes sans s’aliéner nos partenaires occidentaux, maintenir l’exercice African Lion avec la présence de l’armée israélienne et, semble-t-il, de sa brigade controversée Golani (pas de confirmation et c’est tant mieux, pas de démenti et c’est tendu)…
Un Etat qui se respecte ne verse pas dans l’émotivité et n’agit pas dans l’affect mais se conduit rationnellement, en anticipant les coups, en calculant ses intérêts et en aménageant l’avenir. Le massacre cessera bien un jour, Netanyahou rejoindra sa place dans la poubelle de l’Histoire et la justice parlera, mais les Etats perdureront et c’est cela qu’il faut garder à l’esprit.
2/ Ceux qui refusent tout lien avec Israël, Gaza avant Taza. Ils constituent une grosse majorité de l’opinion publique marocaine, des millions de gens qui récusent toute normalisation ou officialisation, qui considèrent Israël – et pas les juifs – comme l’ennemi éternel, absolu. Ils adoptent leur position par legs spirituel, par mimétisme intellectuel, parce qu’on leur a dit ou parce qu’ils en sont convaincus, et cela est leur droit. Des millions de Marocains qui se joignent et s’ajoutent, avec sincérité et humanité, aux centaines de millions de personnes dans le monde qui dénoncent le génocide en cours.
De quel droit se réclamerait-on pour critiquer des gens condamnant pacifiquement l’occupation israélienne des territoires palestiniens ? Au nom de quelle morale les empêcherait-on de soutenir humainement les Palestiniens qu’ils peuvent considérer à leur guise comme des « frères » ? Qui ne serait pas dégoûté, écœuré par les images de bombardiers détruisant des vies et démembrant des enfants, souvent par passe-temps, quand ce n’est pas plaisir ?!
3/ Ceux qui composent et traitent avec Israël, Gaza c’est bien, mais Taza, c’est mieux. Il existe au Maroc plus, bien plus de personnes qu’on ne peut le penser qui maintiennent des relations normales avec Israël, pour la recherche, pour l’échange académique, pour l’investissement, pour l’amitié… Ils ne le crient pas sur les toits et ils n’ont aucune raison de le faire, mais ils ont le droit d’agir comme ils veulent avec qui ils veulent, et personne ne peut leur contester ce droit. Le Juif n’est pas notre ennemi, il est notre compatriote, il est notre ami… il est notre cousin, comme on dit chez nous. Et ceux-là, encore, comme les autres, sont en droit de penser ce qu’ils veulent et d’agir comme ils l’entendent.
4/ Ceux qui en font trop pour Israël, plus israéliens que les israéliens, Taza et uniquement Taza. Ils sont rares, très rares, ils s’exposent à l’opprobre publique, leur position est difficilement défendable mais ils ne lèsent personne ici, au Maroc. Ils ont des intérêts financiers, familiaux, simplement humains… et ils sont seuls à savoir pourquoi ils en font trop. Car ils en font trop. Mais rien ne les empêche d’être dans l’excès ; on peut s’opposer à eux mais on ne peut les condamner, les juger, les menacer.
5/ Ceux qui instrumentalisent la question palestinienne, Gaza et rien que Gaza, et Taza si on a le temps. Bien des partis condamnent, dénoncent la politique génocidaire d’Israël, et ils le font avec sincérité. Tous les partis ? Non. Il demeure une partie de notre scène politique qui enfourche la situation à Gaza pour engranger des voix et de la sympathie auprès des électeurs. Israël tue des Palestiniens, et certains chez nous instrumentalisent ces morts. Ce n’est pas aussi répugnant que ce que fait Netanyahou, mais c’est quand même répugnant. Ils se reconnaîtront car ce qu’ils font, ils le font en conscience, martelant des poncifs, criant à l’unité de la Oumma, excommuniant à tour de bras.
Ceux-là, il faut s’en méfier car ils sont dangereux, à double titre. D’une part, ils jouent et se jouent des sentiments sincères de populations réellement affligées par le spectacle de mort à Gaza et, d’autre part, ils travaillent à créer une ligne de fracture au sein de la société marocaine, désignant ceux qui, à leurs yeux, sont les bons, et les autres, ceux qu’ils tiennent pour « traîtres » (le mot a été prononcé ).
Au final, il n’y a plus que Ssi Abdelilah Benkirane qui s’énerve et donne la pleine puissance de sa capacité à l’énervement feint et de sa propension à catégoriser les Marocains. Mais Ssi Abdelilah Benkirane est un Marocain, pas les Marocains, pas le Maroc, et c’est tant mieux.
Aziz Boucetta
* En Occident, on parle de « guerre entre Israël et le Hamas » pour dissimuler ou du moins réduire l’impact de ce que cette opération militaire est en réalité, en l’occurrence un génocide qui se rapproche chaque jour de la définition apportée par l’ONU en 1948 (article II), laquelle prévoit aussi le crime de complicité de génocide (article III).
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