
(Billet 1188) – 2020-2025, les transformations silencieuses du monde
Date de départ, début 2020, et date d’arrivée, aujourd’hui, été 2025… Dans l’intervalle de ces cinq années, où le temps s’est accéléré, où les mutations et autres changements sont bruyants, de lourdes transformations, silencieuses, se sont produites. Au-delà des éléments banalement géostratégiques qui ont présidé à de grandes bascules ici et là, ce sont les perceptions qui ont changé ; elles peuvent aujourd’hui être examinées à l’aune de ces cinq années fatidiques où le monde a radicalement changé, et la façon de le voir aussi. Cela imprimera forcément de nouvelles règles et de nouveaux rapports de force.
1/ La pandémie de Covid et le chacun pour soi planétaire. Cette phase de l’histoire de l’humanité, inédite par ses morts en nombre, le catastrophisme apocalyptique des sceptiques et surtout les villes désertées où les animaux ont repris leurs droits, a dévoilé les limites des pouvoirs supposés démocratiques et les capacités à protéger leurs populations par des systèmes dits autoritaires. L’Europe ne sera jamais plus pareille, c’est-à-dire que ses peuples ne pourront plus croire à l’Union et à sa solidarité ; en cas de doute, demander aux Italiens. Des Etats ont joué aux voyous, raflant d’autorité les équipements nécessaires et faisant main basse par la force si nécessaire sur les doses de vaccins disponibles, et la corruption au plus haut niveau européen a ébahi les gens du Vieux Continent.
2/ La duplicité des pays occidentaux. C’est sur le territoire européen que les plus grandes guerres et massacres ont eu lieu dans l’histoire, et c’est à partir du territoire américain que les grandes guerres et importants conflits qui ont ensanglanté la terre ont été déclenchés (Vietnam, Irak, Afghanistan…). Et, n’en déplaise aux irréductibles défenseurs de l’idée d’un Occident des valeurs et des lumières, la guerre en Ukraine, imputée à Vladimir Poutine et à la Russie, fut conséquence de la duplicité occidentale, comme l’ont si bien reconnu deux des acteurs les mieux placés de cette mauvaise intrigue, Angela Merkel et François Hollande. Le deux poids deux mesures a toujours été la règle, mais aujourd’hui, c’est évident et explicite.
3/ L’effondrement des valeurs à Gaza. Comment un pays, une armée, aussi bien informés sur leurs ennemis, qui vont traquer les chefs du Hamas, du Hezbollah et des gardiens de la révolution iranienne jusque dans leurs appartements, qui frappent leurs ennemis avec une précision de chirurgien, peuvent-ils donc avoir ignoré les préparatifs de l’attaque du 7 octobre 2023 contre Israël ? Comment un pays supposément « moral », peut-il œuvrer à exterminer toute une population en l’écrasant d’abord sous les bombes et ensuite en l’affamant, au vu et au su de toute la terre, avec la complicité agissante – certes de moins en moins, mais agissante quand même – des pays portant haut les valeurs de liberté et de droits ? Comment continuer de croire à la fable devenue farce du droit international et de la nécessité de respecter les droits humains, surtout quand cela est porté par les puissances qui bafouent aujourd’hui tant le droit que les droits et qui veulent les imposer à d’autres sans y croire eux-mêmes ?
4/ La capacité réelle de la Russie. Depuis 30 ans, ce pays se vend comme une puissance, après avoir été une des deux superpuissances le demi-siècle précédent. Mais avec la guerre en Ukraine, et en dépit de l’aide massive occidentale qui permet à Kiev de résister, la Russie a montré qu’elle est davantage une forteresse inexpugnable qu’une puissance économique. Son économie se fonde sur l’industrie de l’énergie et de l’armement., sans aucune capacité financière lui permettant de compter et de peser dans le monde. La Russie d’aujourd’hui est une forme de Sparte d’hier, fermée sur elle-même et renfrognée.
5/ La puissance véritable de la Chine. Elle dit vouloir imposer dans le monde un autre système que celui des vainqueurs occidentaux de la guerre de 39-45, elle affirme sa volonté de respecter le monde et le droit, et s’appuyant sur cela, elle aspire même sans le dire au leadership mondial. Mais conduire le monde impose d’y faire entendre sa voix dans les grandes questions économiques ou stratégiques. Cela n’a pas été le cas avec Israël et les Etats-Unis contre l’Iran, ni contre Donald Trump dans son offensive économique contre elle. Des discussions ont très certainement été menées hors projecteurs avec Washington, mais quand une nation aspire à la puissance, comme l’URSS hier, comme les Etats-Unis hier et aujourd’hui, elle agit au grand jour, impose et s’impose.
6/ Le retour inattendu de la question palestinienne dans les pays musulmans (arabes ou autres). La question palestinienne a été reléguée de plusieurs rangs dans les priorités de nombre de ces pays, du moins entre 2011 et le 7 octobre 2023. Le Moyen-Orient est sorti des grands problèmes géopolitiques internationaux, l’attention a glissé vers le sud, vers les pays du Golfe, et la confrontation entre grands s’est déplacée vers le Pacifique. La Palestine ne figurait plus en tête des agendas mondiaux des Etats ; aujourd’hui, il faut le reconnaître, cette question complique le positionnement des uns et des autres de ces Etats sur l’échiquier mondial, tiraillés entre les intérêts froids des Etats et le sang chaud des populations.
7/ Le scepticisme planétaire. De la pandémie Covid à la campagne de vaccination qui l’a suivie, puis avec les informations, révélations, mystifications diverses qui ont suivi, une vague gigantesque de scepticisme s’est abattue sur le monde. Ils sont des dizaines, des centaines de millions de personnes qui ne croient plus les alertes de leurs Etats, de la communauté des Etats. Antivax, climatosceptiques et autres refuzniks font des émules dans cette tendance new age de la désobéissance civile ; c’est leur droit, tant qu’ils restent dans le cadre légal, mais leur attitude trouble et heurte la bonne marche des sociétés. S’ils ont tort, ils retardent le progrès, mais s’ils ont raison, alors ils expriment mal leurs arguments car ils restent minoritaires et vaguement factieux.
8/ Le Nord et le Sud se diluent. Les pays développés et les pays sous-développés, qu’on appelait aimablement ‘en voie de développement’. Nord et Sud étaient géographiquement délimités et idéologiquement reliés, au capitalisme occidental ou au communisme soviétique. Aujourd’hui, on parle de Nouveau Sud, avec des pays du Sud dans le nord, ou de Sud Global, par opposition à un Nord encore plus boulimique qu’avant. Le Nord méprisait le Sud et le pressurisait, mais avec le temps le Sud a appris à traiter avec le Nord et à ne plus le laisser le maltraiter.
9/ Ces dirigeants d'un genre nouveau. Donald Trump, Boris Johnson, Rodrigo Duterte, Georgia Meloni, Kais Saaïed, Volodymyr Zelensky, Jair Bolsonaro, George Weah, Nikol Pachinian, ... ces personnages nouveaux, iconoclastes, sont devenus la norme. Leur élection se fonde sur l'agrégation et l'empilement des mécontentements, aboutissant à des majorités éclectiques et à des discours politiques décousus. L'argent devient roi dans l'opération électorale, les réseaux sociaux étant les nouveaux supports de tout candidat, de toute élection. Et quand ce ne sont pas de nouveaux personnages qui émergent, ce sont des formations improbables qui apparaissent et remportent les suffrages, comme En Marche, MAGA, Syriza, Fratelli d'Italia, Podemos... La politique change, ses représentants aussi, et ses menaces et périls demeurent encore inconnus.
10/ Et au Maroc ? Effritement du politique et défiance accrue. La constitution de 2011 a redonné ses lettres de noblesse à la politique et dans la décennie qui a suivi a vu une adhésion citoyenne, ou au moins un intérêt. Mais le gouvernement actuel a changé les choses. Et pourtant, des trois partis composant la majorité depuis 2021, les dirigeants du PAM et de l’Istiqlal s’expriment, s’exposent, s’excusent au besoin, mais le parti dirigeant cette coalition se terre dans le mutisme presqu’absolu, malgré les critiques et les doutes des populations face aux différentes accusations ou soupçons de conflits d’intérêt, de favoritisme et face aussi aux mauvais résultats de l’emploi, de l’éducation, de la santé… A l’issue de ce mandat, le Maroc se retrouvera politiquement ramené 15 ans en arrière.
En cinq années, le monde a donc radicalement changé, mais ce ne sont pas les grandes mutations géopolitiques et géostratégiques qui sont les plus importantes, les perceptions changées comptent plus car elles imprimeront les futures relations entre Etats, entre blocs, entre cultures et civilisations. Le monde de demain ne sera plus le même que celui que nous connaissons, que nous avons connu. Il sufft juste de s’y préparer ; si le Maroc des gouvernants l’a compris, celui du gouvernement pas encore.
Aziz Boucetta
Commentaires