(Billet 1233) - Rencontre inédite à la wilaya de Casablanca

(Billet 1233) - Rencontre inédite à la wilaya de Casablanca

C’est (entre autres) à une rencontre avec un wali que se dessine aujourd’hui, au Maroc, la distinction et la différence entre générations, et aussi l’évolution des comportements. Les gouverneurs, et les walis, sont un héritage de l’ère Hassan II et de Driss Basri, quand ces hauts fonctionnaires, autoritaires, étaient des personnages généralement rugueux ; souvent travailleurs, parfois efficaces, mais toujours rugueux et autoritaires. Cela change aujourd’hui…

Aujourd’hui, ils sont douze walis, autant que les régions, et environ 80 gouverneurs, répartis sur l’ensemble du territoire national. Ils sont tenus à des obligations de résultats, de moyens, de concrétisation des objectifs, de propositions… et ils sont évalués, d’une manière ou d’une autre, par leur hiérarchie. Les walis et gouverneurs sont les représentants territoriaux du ministère de l’Intérieur et, par extension, de l’ensemble du gouvernement.

Ayant eu longtemps le titre de « wali/gouverneur de Sa Majesté le Roi », ils tiraient jadis leur puissance de l’onction royale ; c’était sous Hassan II. Avec le souverain actuel, ils sont redevenus « simples » walis et gouverneurs, mais cela n’enlève pas grand-chose à leur influence, puissance et même omnipotence, du moins pour les générations nées durant le siècle dernier, essentiellement les boomers, les GenX et les plus âgés des GenY. Les autres, nés dans les années 90 et après, agissent avec cette catégorie de fonctionnaires comme avec tout le monde, avec respect certes mais détermination aussi. Le monde change, le Maroc change, la sacralité humaine n’existe plus, elle est avantageusement remplacée par l’efficacité ou, à défaut, au moins la volonté d’efficacité.

Cette efficacité semble être devenue le maître-mot de Casablanca, avec son wali Mohamed Mhidia. Lui, il est aussi rugueux et autoritaire que ses lointains prédécesseurs « basriens » ou « basristes ». Mais à leur différence, la rugosité et l’autoritarisme qu’il dégage ne sont pas une posture empruntée mais une nature, un trait de sa personnalité, contrairement aux autres qui en faisaient une attitude professionnelle, destinée à impressionner, à effrayer, en un mot à réprimer. Mohamed Mhidia, pour ceux qui le connaissent, est un homme affable et courtois, mais que voulez-vous, il est aussi rugueux et autoritaire ; cela se reflète bien heureusement dans le changement de configuration de la capitale économique du royaume. Et curieusement, cette manière d’être du wali de Casablanca dégage une certaine forme de bonhomie et d’humour peut-être involontaire, peut-être voulue, mais cela détend l’atmosphère des rencontres avec lui.

Ponctuel et expéditif, il aligne des journées aussi longues que les besoins de Casablanca et enchaîne les réunions courtes, avec évaluation de ce qui a été décidé à la réunion d’avant et définition de ce qui devra l’être à celle d’après. Ses collaborateurs vivent à un rythme d’enfer pour rendre Casablanca meilleure. Ce n’est pas gagné, mais l’intention y est et les moyens déployés.

Cette semaine, comme les autres walis et gouverneurs, agissant sur ordre central, il a organisé une large et vaste rencontre d’écoute et de concertation avec les corps constitués, les associations de quartiers, les élus et des représentants de la société civile des arrondissements. Le but est le même partout : écouter les gens, recueillir leurs revendications, noter leurs problèmes, centraliser et rationaliser tout cela, puis apporter – ou au moins essayer d’apporter – des solutions… dans le cadre de programmes (nouveaux) de développement territorial intégré. Tout est dans le « intégré » et ce mot inclut la population dans une logique participative. Et cette population, présente à la wilaya pour la grand-messe de concertation, a participé, massivement, parfois chaotiquement, mais sincèrement : ils ont tout dit, elles ont tout révélé, jetant leurs vérités à la figure des autorités administratives, wali, gouverneurs, caïds, chefs de divisions et de départements, élus…

On relèvera que dans une grande partie des interventions, les gens louaient et remerciaient le wali pour ses visites de terrain, son intérêt pour ce qui ne fonctionne pas et sa discrétion pour ce qui marche, son sens de l’écoute et sa réactivité immédiate ; c’est assez inédit pour être relevé. Curieusement, aucun intervenant n’a exprimé le même satisfecit pour l’un(e) des huit gouverneur(e)s d’arrondissement de Casablanca, pour la maire de la métropole ou pour ses élus. A croire qu’il n’y a que Mohamed Mhidia qui, en plus des chiffres et des réalisations, s’intéresse vraiment à la population et va à son contact !

Il est peut-être là, le problème… le problème de la proximité des responsables avec leurs administrés et de là, inversement, de la confiance des seconds pour les premiers. Nous savons que la question des élus locaux et régionaux se pose dans ce pays ; sitôt élus, ils deviennent dans leur très grande majorité distants, importants… se coupant de leurs électeurs. Et les gouverneurs, du moins une partie de ceux de Casablanca, imprégnés de la culture « Intérieur » estampillée Basri, ne sont ni abordables ni abordés, promenant sur la foule des regards sévères de responsables occupés !

Aujourd’hui, après le discours prémonitoire du roi Mohammed VI sur le Maroc à deux vitesses en juillet et après le mouvement d’humeur des GenZ en septembre, le ministère de l’Intérieur a mis en œuvre une nouvelle politique territoriale faite de proximité, d’écoute et d’approche participative. Cela évoque quelque part les grandes séances d’écoute organisées par Emmanuel Macron en France avec les Gilets jaunes ou Evo Morales en Bolivie. Cette catharsis populaire a montré son utilité, ici et ailleurs. Ici, c’est différent, le Maroc est une monarchie et la forme est donc différente ; à défaut des responsables politiques empêchés ou auto-empêchés d’expliquer, ce sont les cadres territoriaux qui prolongent le message royal.

La forme devient dès lors importante mais, une fois acquise, il faut lancer la réforme, à défaut de quoi la forme devient simple chloroforme, qu’on sait éphémère… Instaurer une communication directe des walis et gouverneurs ou au moins la fonction de chargé de communication ou de porte-parole des wilayas serait aussi très utile, pour apporter l’information et l’explication aux populations, comme dans le cas de Casablanca, avec ces deux désormais emblématiques et encore mystérieuses affaires du projet avorté d’hôtel sur le boulevard Zerktouni (angle boulevard d’Anfa) ou encore la démolition de ce qu’on appelle « le Kremlin de Bouskoura »…

Au Maroc, face aux problèmes, les responsables territoriaux s’engagent dans le fonds, en mettant de plus en plus la forme. Les deux sont importants, mais dans un pays comme le nôtre, la forme l’est encore plus, tellement qu’elle doit même devenir un élément de sélection de ces responsables territoriaux, qui viennent du haut comme les walis/gouverneurs ou qui émergent du bas comme les élus locaux. A défaut, le dialogue de sourds persistera… et les générations à venir agiront à leur manière.

Aziz Boucetta 

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