
(Billet 1175) - Merci au Festival Gnaoua (et aux autres), encore et toujours !
Merci le festival Gnaoua et Musiques du monde ! Merci d’exister, merci d’offrir ces moments de joie, de convivialité, de complicité et de vivre-ensemble, de chants, de musiques et de couleurs, comme à chaque fois, comme depuis 26 ans maintenant. Sauf que cette année, le festival avait un goût spécial, dans un climat international mortifère et un Maroc morose, et qu’il est presque parvenu à masquer le temps d’un chant, d’un pas, d’un rythme, d’une conférence, d’un enseignement, tous les malheurs du monde.
Merci le Festival de montrer qu’à cette époque où les incompréhensions explosent et où les différends s’exposent, le Maroc en général et Essaouira en particulier sont capables d’unir des gens venus de toutes parts et des cœurs palpitant à tous les rythmes.
Merci à nos artistes de nous rappeler que nous sommes un pays d’art, sous toutes ses formes, d’hospitalité, inconditionnelle, de convivialité, éternelle.
Merci à nos jeunes d’être si sympathiques, si rieurs, si avenants, si accueillants, si prometteurs pour des lendemains qui, comme à Essaouira, chantent.
Merci à nos Gnaoua de faire danser ces centaines de milliers de personnes, de tous âges, de toutes conditions, de toutes religions, oui de toutes religions (même ceux qui, à l’étranger, s’enfuient au premier ‘Allahou akbar’ sont restés et ont scandé cette profession de foi en battant des mains…).
Merci à Neila Tazi, encore une fois, d’être là, de faire se rencontrer tous ces gens et toutes ces sensibilités, de rendre cela possible, même sur un fauteuil roulant !
Oui, il faut le dire, le dire et s’arrêter un instant pour s’en délecter jusqu’à plus soif, dans ce monde en guerre, de plus en plus incertain, de moins en moins humain, cahotant de guerre en guerre et de domination en extermination, à une époque où les humains, au lieu de s’entremêler, s’entretuent… oui, on doit le penser et le dire, à cette époque, s’immerger 60 heures dans cette ambiance spirituelle et en même temps dansante est une faveur inouïe.
Les Mâalems marocains côtoient les danseurs venus d’ailleurs et les chanteurs accourus de toutes parts, les sons mats des tambours subsahariens rythment les mélodies des instruments à vents et à cordes latinos. Les danseurs mêlent leurs pas, agitent en chœur leur bras, virevoltent et volètent sur les scènes, sous le vent battant d’Essaouira. Partout, des jeunes seuls ou en groupes, familles unies, enfants et aïeux, dans un éblouissement de langues et de cultures, tout le monde sourit à tout le monde, chacun est serviable ou veut l’être. Ici et là, ce ne sont que fusions et effusions ! Ici, on veut oublier les drames et les tragédies, les fous de Dieu qu’on retrouve désormais équitablement répartis dans toutes les religions, les incompréhensions, les exterminations, les faux semblants et les faux espoirs.
Essaouira, cette ville d’histoire, hier enclavée et aujourd’hui retrouvée, se montre toujours aussi souriante, accueillante, envoûtante. Si, cette année, actualité internationale aidant, les officiels n’étaient pas au rendez-vous, cela n’était pas le cas des populations, venues par centaines, par milliers, par centaines de milliers, d’Essaouira, du Maroc et de l’étranger, proche ou lointain. Pour danser, pour oublier, pour se retrouver.
Le Festival Gnaoua et Musiques du monde s’internationalise depuis des années, s’universalise progressivement, et s’ancre de plus dans une approche académique, avec la présence d’une université, puis de deux. L’année passée, c’était l’inauguration du partenariat avec la prestigieuse université américaine Berklee de musique et le début des discussions avec l’UM6P. Cette année, Berklee est revenue, avec les talents de ses jeunes musiciens et l’allant de ses enseignants ; ils ont joué avec des jeunes Marocains, ont d’abord tâtonné, puis tenté de fusionner et, enfin, cartonné sous les applaudissements ravis d’un public éclectique et bigarré. Puis ce fut le tour de l’UM6P, arrivée l’année passée et qui s’est singulièrement renforcée lors de cette 26ème édition du Festival, avec un forum dédié. L’anthropologie de la culture gnaoui, les défis de sa transmission, les bénéfices de sa composante thérapeutique ont été examinés, débattus, décortiqués. Et, bien évidemment, le Forum des droits humains, organisé avec le CCME, et articulé cette édition autour du thème de la migration, des mobilités et des dynamiques et échanges culturels.
Il est vrai que les organisateurs de ce Festival, et Neila Tazi à leur tête, portée par les dignes représentants de la culture gnaoui comme le maâlem Abdeslam Alikan, avaient réussi en 2019 à faire inscrire cette culture au patrimoine immatériel de l’UNESCO. Cela, ajouté à la présence des deux grandes universités, installe le festival un cran au-dessus des autres, car s’ouvrant sur une autre catégorie de festivaliers, les intellos danseurs, les créateurs chantants, les artistes curieux et les curieux de tout.
On retiendra cependant ce mot de Neila Tazi, véritable maîtresse d’œuvre du Festival, habituellement discrète sur les questions financières mais qui a évoqué « les difficultés budgétaires » que connaissent aussi bien le festival Gnaoua et Musiques du monde que bien des acteurs culturels au Maroc. C’est tout simplement inadmissible, autant qu’inacceptable ! Certes, les choses vont mieux depuis quelque années, ajoute-t-elle, et c’est vrai, mais n’est-il pas vrai aussi, comme on dit, que quand on aime, on ne compte pas. Faut-il croire que la culture est la mal aimée de nos pouvoirs publics ?
Quand on considère les millions de personnes qui se précipitent autour des scènes à Essaouira, Rabat, Fès, Casablanca, Tanger et ailleurs, ne serait-il pas constructif, salvateur même, de se pencher sur une véritable politique publique festivalière ? Ce domaine n’est-il pas transversal, impliquant les départements de la Culture, du Tourisme, de l’Education et de l’Enseignement supérieur, de l’Intérieur, de la Jeunesse, de l’Artisanat et même des Affaires étrangères ? Ne devrait-il pas faire l’objet d’une attention accrue, d’une passion nouvelle, d’une priorité pressante, d’un financement puissant, généreux et permanent ?
La réponse à toutes ces questions est un « oui » absolu, et pour s’en convaincre, il suffit de plonger dans l’ambiance des festivals en général, de celui des Gnaoua et Musiques du monde en particulier. A tous ces festivals, merci d’exister, merci d’insister, merci de résister !
Aziz Boucetta
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