
(Billet 1177) - Le problème RNI
Il est temps de faire le point sur le RNI, ce parti d’appoint, créé pour apporter uniquement l’appoint, devenu point d’achoppement de la classe politique marocaine. Aujourd’hui, ce parti brandit son poing, s’estime le meilleur, dirigé par le meilleur, comme disent ses ouailles au sein de cette formation que rien ne prédisposait ni ne prédispose à devenir un parti, au sens classique du terme. Dans la perspective des élections 2026, le RNI se met en position, sa machine se met en branle et les ambitions fleurissent dans les esprits de ses cadres.
Créé voici une cinquantaine d’années dans les salons du palais royal, mis en place alors par Ssi Ahmed Osman, proche parent de la famille royale, le RNI était destiné à être un parti de notables quand le Maroc avait encore besoin de ses notables. Et de quelques comptables. Puis, quarante années durant, le RNI complétait les majorités telles qu’elles étaient décidées par la verticale du pouvoir. Depuis les années 2000 donc, ce parti colmatait les brèches numériques de majorités en devenir, ou en formation. La spécificité politique marocaine étant ce qu’elle est, et le talent négociateur des chefs RNIstes étant comme on sait, amplifié par la faiblesse congénitale de la plupart des autres formations, ses cadres ont occupé les plus hautes fonctions.
Et ainsi donc, depuis 1998, le RNI a rejoint Abderrahmane el Youssoufi (I & II), a soutenu Driss Jettou (I & II) et s’est maintenu avec Abbas el Fassi (I & II). Puis, après quinze mois où il s’est morfondu dans l’opposition, il répondit à l’appel numérique à défaut d’être politique d’Abdelilah Benkirane I, puis II. Et quand Aziz Akhannouch, son chef actuel, en a pris les rênes en 2016, le RNI s’est durablement installé au gouvernement, en en prenant la direction de facto en 2017, puis de jure depuis 2021. D’où l’art de transformer une minorité numérique en majorité politique. Et le RNI y a pris goût, se répétant à l’envi qu’il y est, qu’il y restera. Une forme de césarisme gouvernemental, car le gouvernement, c’est son chef et rien d‘autre que son chef, même pas les autres chefs de la majorité.
Fort bien. Tout cela est normal dans une démocratie, et le Maroc est une démocratie, à sa façon. Mais tout cela est aussi dangereux, quand dans un pays un parti devient hégémonique. Et encore, si ce parti devient hégémonique par la voix de ses chefs, la puissance de leurs doctrines et la force de leurs arguments, l’affaire serait naturelle ; mais devenir dominateur par la seule grâce de l’absence des autres formations politiques et d’une certaine indulgence autosuggérée venue d’ailleurs, cela aboutit à une structure institutionnelle bancale et relevant du seul chef politique qui pense et qui dépense.
Le problème est la stricte et inconditionnelle inféodation de tous les militants à la parole du chef, à l’allure du chef, à la volonté du chef. Rien en dehors du chef, rien contre le chef. Le chef a dit quelque chose ? Il a raison ; les chiffres démentent les propos du chef ? alors les chiffres ont tort et ceux qui les annoncent ou les calculent sont, forcément, de mauvaise foi. En général, ils sautent. Et ainsi va la vie au sein du Rassemblement national des Indépendants, instaurant un culte de la personnalité, intéressé pour les « militants » mais non inintéressant pour les observateurs.
Près de quatre ans après sa victoire aux élections générales de septembre 2021, quel est le bilan réel du gouvernement RNI ? Une montagne de textes de lois de tous niveaux (lois, décrets, réglementations, chartes diverses…) et une mise en place institutionnelle des grands projets royaux. En plus de la politique de l’eau (barrages, dessalement, autoroutes de l’eau,…), quand même, comme l’exception qui confirme la règle. Un gouvernement de chefs de division ou de cabinards, en quelque sorte, à l’image d’un ministre RNI aujourd’hui parti du gouvernement. Pour le reste, pour les 10 engagements initiaux du gouvernement, rien, ou presque : pas de croissance régulière à 4%, pas de création d’un million d’emplois nets, taux d’activité des femmes en stagnation, pauvreté accrue et précarité aggravée, classe moyenne qui perd de plus en plus ses moyens, en plus d’un Nouveau modèle de développement largement ignoré… En revanche, la corruption bat son plein, soutenue par un législateur indifférent au mieux, complice au pire : pas de loi sur le conflit d’intérêt, qui prospère, pas de texte contre l’enrichissement illicite, qui fleurit, pas de réunions avec les instances chargées de la lutte contre la corruption, qui dépriment…
Et puis, comment donc le RNI pourra-t-il se présenter devant des électeurs qu’il s’est échiné à ignorer durant ses quatre années au « pouvoir », et tout laisse croire que la cinquième sera du même tonneau. M. Akhannouch ne s’exprime pas, sauf au parlement parce que c’est obligatoire, et face à des caméras/journalistes amis, parce que c’est confortable ; à ce niveau, ce n’est plus de la discrétion, c’est du mépris. En dehors de cela, rien, depuis un entretien début février 2022, à oublier absolument. Pire, les cadres du RNI rechignent à venir croiser le fer avec leurs opposants ou leurs contempteurs ; seuls quelques-uns forment l’exception qui confirme la règle. Les jeunes cadres, élus ou caciques, ne veulent pas prendre de risques et ainsi oblitérer leur carrière en devenir, et les vieux cadres, les anciens, ne voient pas l’intérêt d’aller défendre des politiques, des postures ou un leadership qu’ils n’entérinent pas et qu’ils condamnent ; derrière le rideau certes, mais qu’ils condamnent quand même.
Le RNI, son président, ses jeunes (pour les moins jeunes, plus rationnels, c’est moins évident) croient dur comme fer en leurs chances de rempiler ; et ils ont à ce titre déjà entamé leur campagne de tournée, « d’écoute et de communication » dans les régions du royaume, tout en « interdisant » à leurs alliés PI et PAM, qui obtempèrent, de faire pareil. Mais on sait que le RNI 1.0 sera le même que le RNI 2.0, s’il était reconduit ; le même, et peut-être même pire, car si Aziz Akhannouch réussit à devenir le premier à être reconduit par la grâce des urnes et à s’imposer à tous, absolument tous, population et institutions, sur la scène politique, plus rien ne l’arrêtera dans l’exercice de son impérium gouvernemental ; par ailleurs déjà considérablement entamé.
Il semblerait que les Marocains, informés de ce qui se passe chez eux et dans le monde, proche ou lointain, sont conscients de l’utilité de voter, de voter bien, de voter utile. Aujourd’hui, l’heure semble être venue d’enfin démarrer le développement et de mettre un terme à l’éternelle « transition démocratique » ; pour cela, le Maroc a besoin d’un vrai gouvernement, avec un vrai chef politique. On dit et on sait qu’on ne change pas une équipe qui gagne, mais pas une équipe de chefs de division qui gagne du temps. Rendez-vous en septembre 2026.
Aziz Boucetta
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