(Billet 1184) – Akhannouch au parlement, des sorties convenues et sans contradiction

(Billet 1184) – Akhannouch au parlement, des sorties convenues et sans contradiction

Encore une fois, et une fois n’est pas coutume, le chef du gouvernement s’est plié au jeu des questions réponses au parlement… la semaine dernière à la 1ère Chambre, et cette semaine à la 2ème. Le fait est assez rare pour être relevé, et donc on le relève. Pour le reste, deux discours d’Aziz Akhannouch, qui se résument à des chiffres et des lettres. Des réalisations, il y en a de toute évidence, et des manquements aussi. Et on constate qu’avec le temps, le chef du gouvernement a pris une certaine confiance dans la communication… du moins au parlement. Mais il est vrai qu’il n’y a pas de contradicteur audible.

Que peut dire un chef du gouvernement en dehors d’un satisfécit délivré à lui-même ? M. Akhannouch est venu, il a lu puis il a répondu. Le jeu classique et monotone, à la limite soporifique, sauf quelques joutes verbales plutôt poussives entre les uns et les autres. Mais il faut reconnaître ce qui est. Et ce qui est consiste à rappeler que ce gouvernement est arrivé à une période très difficile, une période de fin de Covid et une période de début de guerre, en plus d’une sécheresse tenace. Aziz Akhannouch l’a rappelé.

Il a donc fallu tenir le choc et maintenir les grands équilibres macroéconomiques, et force est de constater que cela a été fait et globalement réussi. La majorité soutiendra ce fait et l’opposition le contredira, ce qui est chose normale dans une démocratie, avec une dose de mauvaise foi des uns et des autres. Mais on peut dire que d’une manière générale, le gouvernement a su maintenir ces équilibres dans la contrainte de tous les grands chantiers lancés et de la pluie de milliards de DH engagés dans la reconstruction et la réhabilitation d’al-Haouz, dans la préparation du Mondial, dans le chantier de la protection sociale, dans le programme d’éducation, dans l’extension de la LGV… L’endettement reste maîtrisé même s’il surchauffe un peu, mais l’Etat semble pouvoir faire face en actionnant le levier des impôts (et surtout de leur recouvrement) et quelques astuces pour la dette.

Par ailleurs, et sur un plan strictement politique, les choses aussi doivent être dites : le RNI et son chef Akhannouch ont su maintenir la cohésion de la majorité, et PAM et Istiqlal ont accepté d’être relégués au rang de compléments d’une majorité qui n’aurait certes pas été sans eux, mais qui aurait également pu se faire sans eux. Ils le savent, ils l’ont compris, et ils font avec en attendant mieux. Le RNI est le parti dominant aujourd’hui la scène politique, et qui se prépare à continuer.

Sauf que tout cela ne fait pas une politique, et que tout cela n’indique pas un succès du gouvernement, du moins sur la base des dix engagements pris par son chef un jour d’octobre 2021. Personne ne lui demandait d’aller aussi loin, il l’a fait, il l’a promis, et ne l’a pas respecté. Si le taux de croissance n’est pas au rendez-vous, on peut expliquer cela par les pressions et les incertitudes externes, mais la création d’un million d’emploi reste un objectif largement manqué, de même que l’augmentation du taux d’activité des femmes, qui a plutôt stagné, voire légèrement régressé. Les chiffres de la protection globale, avec une couverture annoncée à près de 90%, sont vigoureusement disputés par les gens du métier ; la pauvreté aurait reculé, mais pas la vulnérabilité ; la classe moyenne est de plus en plus moyenne et dispose de moins en moins de moyens ; la justice territoriale est toujours injuste.

En un mot, si les choses avancent, la marche globale demeure anémique, et ce que ne dit pas ou ce que ne voit pas le chef du gouvernement est cette ambiance de perte de confiance, puis de méfiance généralisée. Les gens ne croient pas aux chiffres annoncés et le gouvernement n’a jamais répondu à la grave accusation d’insincérité des chiffres publics portée par l’économiste PPS Mohamed Benmoussa voici plus d’un an. Si l’économie supporte les différents chocs, la politique se porte mal, très mal.

En effet, le débat politique public est de plus en plus atone. L’opposition est émiettée, mais elle arrive à faire entendre ses différentes voies, séparément. Le plus crédible et le moins inaudible demeure Nabil Benabdallah, qui tire la sonnette d’alarme sur les élections de 2026 et met en garde contre l’utilisation de l’argent pour le prochain scrutin, rappelant que cela avait été le cas avant. Et, plus grave, les réformes sociétales sont le parent pauvre de ce gouvernement et de cette majorité. Ainsi, la réforme de la Moudawana attend toujours, de même que celle du code pénal, et les réformes introduites dans la procédure pénale sont tout simplement scandaleuses. Empêcher les associations et les personnes physiques de dénoncer des crimes économiques supposés, ne pas légiférer sur l’enrichissement illicite et détourner le regard de la question du conflit d’intérêt placent le gouvernement dans une attitude de complicité potentielle avec les auteurs de ces crimes et délits supposés.

On prête à Aziz Akhannouch et à son parti le RNI la ferme intention de vouloir rempiler, ce qui est tout à fait légitime et acceptable. Mais il lui faudra, maintenant, parler, s’exprimer, s’exposer. Il devra accepter le débat contradictoire avec l’opposition ou avec les médias, les siens et les autres ; M. Akhannouch est plus détendu lors de ses prises de parole au parlement, il doit maintenant essayer le débat public, avec des vrais contradicteurs et pas la masse grise, acquise et soumise de ses députés.

Il est toujours facile d’aligner des chiffres, même les plus invraisemblables comme pour l’emploi ou les plus fantaisistes comme le taux de couverture sanitaire. Mais quand la population ploie sous le poids des prix des denrées alimentaires qui montent, quand des douars entiers entrent en contestation ouverte (et il n’y pas qu’Aït Boughemez), quand de très forts de soupçons de corruption ou de collusion entourent les opérations de subventions des viandes (au point que le Roi confie la gestion de ces subventions au ministère de l’intérieur), quand de gigantesques non-dits s’installent, comme pour la Samir et les prix des carburants, quand les injonctions royales à structurer la sphère des MRE reste lettre morte… et quand le mode de direction du gouvernement se transforme en une sorte de mépris pour les plus faibles, alors la nécessité d’agir devient vitale.

Puisque le RNI ne parle pas et qu’en dehors des youyous il refuse tout débat, alors il appartient aux autres partis de le faire, maintenant, comme il revient aux citoyens, le jour dit, d’aller voter en masse et de dénoncer toute malversation. Et en ultime recours, l’article 42 de la constitution pourrait bien un jour être activé.

Le RNI a déjà entamé les premiers mouvements d’échauffement dans la perspective des prochaines élections ; c’est légitime mais il est au préalable important de faire l’inventaire de ce mandat et d’obtenir les vrais chiffres. Alors peut-être que les gens iront voter, sinon il faudra encore faire travailler l’ingénierie électorale. Sauf qu’en 2026, les enjeux mondiaux étant ce qu’ils sont, les exigences internes se présentant comme elles sont, et les incertitudes de tous genres se bousculant, le Maroc ne pourra plus se permettre ce genre d’ingénierie qui règlent des problèmes immédiats et en créent d’autres, bien plus profonds. Nous y sommes.

Aziz Boucetta

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